Comte de Noirceuil

Propositions indécentes (Part.1)

Un récit du Mystère de la Plume

Propositions Indécentes - 1ere partie

« bzzz… bzz…bzz… ». Je lève subrepticement les yeux de mon écran d’ordinateur et je fustige du regard l’ensemble de mes collaborateurs.

Qui a osé ne pas éteindre son téléphone pour ma réunion hebdomadaire ?

Je le pose sur chacun d’entre eux, sur chacun des 27 hommes en costume composant mon équipe, prête à décocher une remarque acerbe au fautif.

En petits groupes, ils s’affairent à la tâche que je leur ai confiée dans un Word Café animé et personne ne semble entendre ce bruit exaspérant.

Trônant au milieu de la vaste table de réunion, j’ai osé délivrer mes pieds douloureux de mes escarpins nouvellement acquis. Le talon bien ancré dans le sol, les orteils libérés, je savoure la douceur de la moquette de ce bureau. Je saisis dès que possible cette initiative, car j’apprécie l’aisance et les sensations que le corps peut trouver dans son environnement, mais l’open space ne m’en offre que bien trop rarement une telle opportunité.

Les minutes s’égrènent. Lentes, trop lentes, dans l’attente de la mise en commun du fruit de leurs réflexions.

Mon oreille saisit un nouveau bruit, celui-ci bien connu de la réception de mails dans ma messagerie professionnelle.

Deux enveloppes bleues s’affichent sur mon interface.

La première provient de mon manager, me rappelant l’objet de notre rendez-vous et les documents qu’il attend que je lui produise.

La seconde ne possède ni objet ni nom d’expéditeur connu alors qu’elle émane bien d’un membre de l’IESS.

Mon doigt tremble sur cette icône, car je pressens que ce message n’est pas de bon augure.

D’instinct, je me refuse de l’ouvrir avant mon rendez-vous important de 15h. Il me reste cinq minutes avant le début de ma rencontre avec mon chef durant lequel j’envisage de lui demander une augmentation salariale et j’ai besoin de toute mon énergie, ma concentration et mon assurance pour poser une telle requête.

Les dernières minutes ne seront pas destinées à la mise en commun habituelle. Là n’est pas ma priorité. Je me rechausse discrètement et sors de la salle pour me rendre une dernière fois au WC.

La lumière aveuglante dévoile mon reflet dans le miroir. Une jeune femme professionnelle en robe près du corps, noire et blanche, avec un petit volant juste au-dessus du genou me regarde les sourcils froncés. Légèrement maquillée, elle ne s’est octroyé que deux fantaisies : un rouge à lèvre carmin sur ses lèvres charnues et des pendants d’oreille en galuchat.

Ce reflet en est justement un, une illusion qu’elle a créée et qu’elle cultive depuis son arrivée dans son entreprise, une illusion fragile qui pourrait exploser si un grain de sable se glissait dans les rouages.

Pressée, je ne passe guère de temps à réfléchir sur d’éventuelles questions métaphysiques, car je ne connais que trop bien l’humeur lunatique de Pierre, mon manager. Le moindre petit écart de ma part est aussitôt relevé, analysé, commenté et bien évidemment réprimandé. Joueuse, je m’amuse justement à orchestrer de petites bévues pour l’entendre gronder.

D’un seul geste, je déverrouille la porte, éteint la lumière et tire sur l’ourlet de ma robe pour la faire descendre un peu plus légèrement.

Je regrette ce matin le coup de folie d’avoir élu une telle tenue qui ne cache rien de mes courbes.

Elle ne me permettra pas d’échapper aux yeux libidineux de Pierre qu’il posera sur moi. Regret ? Pas totalement, pas vraiment, pour être franche.

Par provocation, j’apprécie le voir me découvrir quotidiennement à la pause-café. Je sens son regard sur mes lèvres d’abord que je prends plaisir à entrouvrir devant lui, à humecter du bout de ma langue. Puis, la caresse de ses yeux descend le long de mon cou et plonge directement dans mon décolleté. Ma poitrine plutôt plantureuse est frôlée. Il la délivre du carcan qui la maintient en place pour appliquer sur mes tétons une douce torture.

Je l’imagine me les attraper, les pincer entre le pouce et l’index, fort, très fort. Dans le fantasme que je me suis créé, il s’octroie même la liberté de les tourner et les tirer sauvagement.

Mon corps ne met pas longtemps à réagir à ses attentions pourtant perverses et imaginaires.

Des vagues d’excitation naissent au creux de mon ventre, descendent à mon entrejambe. Je serre mes cuisses en attendant que mon thé noir finisse de couler à la machine.

Chaque matin, comme un rituel entre nous, il se place ensuite derrière moi, dans la queue, pour attendre lui aussi son élixir caféiné. J’en profite alors pour l’allumer davantage, bougeant en cadence mes fesses, me reculant pour le frôler quand je récupère mon gobelet.

Je sens à travers la fine épaisseur de mes tenues la rigidité de son sexe. Parfois, fortuitement, j’ose même y poser ma paume. Aucun salarié, accaparé par une conversation ou son téléphone n’a jamais saisi ce manège de chat et de souris entre nous.

Mes escarpins claquent sur le carrelage du couloir en direction de son bureau. Prête à en découdre. Malheureusement, ma sortie n’est pas aussi brillante que mon entrée.

Le rendez-vous s’est soldé par un cuisant fiasco : les documents, inutiles, et ma présentation, absconse.

De ce fait, il n’était plus question d’envisager de lui parler salaire. Déçue et rageuse, je retourne à ma place dans l’open-space, sous le regard de mon équipe.

Lourdement, je me laisse tomber dans mon fauteuil et je m’empresse de rallumer mon ordinateur.

La seconde enveloppe reçue a occupé mon esprit tout le temps de notre entretien inhabituellement distant.

J’ouvre le mail pour en découvrir la teneur :

Alors comme ça, tu es diplômée de l IESS de Genève, section marketing international ?

Tu as reçu ton diplôme en 2015? Étrange, cette section n’a pas été créée avant 2018. Plus étrange encore ton nom ne figure pas sur la liste des anciens élèves…
Il s’agit sans doute d’un malentendu. Mais je n’aime pas être dans le doute. Donc, par retour, tu vas m’expliquer tout ça si c’est explicable.

Attention, je vérifierai tout, n’essaie pas de me tromper. Tu n’as pas de chance, j’ai mes entrées à l’IESS.
Si ce n’est pas explicable, c’est embêtant. Cela veut dire que si cela me chante, je peux te faire virer…par exemple demain.

Qu en dis-tu?

Rassure-toi, j’ai une autre idée, qui nous bénéficiera à tous les deux. Tu garderas ton job, et moi, je m’amuserai un peu.

Ne me remercie pas, je suis quelqu’un de naturellement gentil.

Je ne te demande presque rien…juste de devenir mon jouet sexuel. Oh pas “en présentiel”, je préfère rester caché, et m’amuser à distance. Si tu m’identifies, tu vas me dénoncer, je vais te dénoncer et le jouet sera cassé.
Tu vois, je ne demande pas grand-chose. Ah si peut-être, un détail. Le mail qui te dénonce est prêt dans mes brouillons.

Un seul refus de toi et il part.

C’est un peu les mille et une nuit en plus chaud. Tant que tu me fais bander, tu gardes ton job, mais garde le rythme et sois bandante, je me lasse vite.
Donc tout à l’heure, tu vas m’envoyer toutes les explications au sujet de ton diplôme. J’en suis sûr. Tu es tellement honnête pimpante et sûre de toi. Mais dans le cas contraire, ne m’envoie surtout pas une explication geignarde, je serais furieux.

Tu vas juste m’envoyer une photo de toi en soutif, j’ai bien envie de voir ce que tu caches quand tu tortilles du cul d’un bureau à l’autre.

Ne perds pas de temps, le chrono tourne. Tu as deux heures.

Son contenu me glace le sang.

Je comprends aussitôt qu’un membre de cette entreprise m’a démasquée, a découvert ma supercherie.

Ce poste en responsabilité était un rêve inassouvi et l’occasion était trop belle pour la laisser filer. Mon CV, qui a été mon sésame, est un tissu de mensonges.

Mon maître-chanteur l’a découvert.

Le lisant, le relisant, je ne vois pas comment je peux me tirer de ce faux pas dommageable.

Il est hors de question que je parte, que je démissionne.

Il peut révéler ma supercherie puisque mon travail, mes résultats, mon équipe, tout prouve que je suis la femme idéale et le manager compétent pour cet emploi. Ici, je peux développer mes compétences d’innovation et mon agilité permanente que j’affectionne particulièrement. Mon chef saura bien évidemment les reconnaître ! Il ne se formalisera pas de ce ridicule écart !

Je décide donc de ne pas me plier à ce chantage ignoble et de lui asséner une réponse en termes choisis.

Je rédige mon message rapidement, mais au moment d’appuyer sur la touche « envoi », je relis ses propos et me questionne de nouveau.

Pierre, sauvera-t-il ma tête du billot alors que je m’amuse à l’exciter chaque matin sans jamais rien céder ? Ne verra-t-il pas ici le moyen de se débarrasser de moi, de me punir de tant d’effronterie ?

Le doute s’installe définitivement dans mon esprit. Le doigt en suspens, je ne sais plus quoi décider.

L’alternative proposée est complètement honteuse et asservissante : devenir le jouet sexuel de mon tortionnaire pour garantir ma place !

D’autant que mon apparence ne reflète absolument pas mon être. J’ai trop bien caché mon jeu. Cette assurance que je joue est un miroir aux alouettes.

« Sois bandante », je mesure que cet ordre me dérange au plus haut point par son caractère immoral. Puis, en dehors de mes tenues parfois affriolantes et le jeu avec Pierre, je n’ai aucune idée de ma séduction et de ce que je peux déployer pour parvenir à réaliser ce défi. En fait, dans ce domaine, je suis plutôt une femme discrète.

De deux maux, il faut choisir le moindre… j’opte alors pour la deuxième possibilité. À contrecœur…

Je sais ce qu’il me reste à faire.

Je me rends aux sanitaires de nouveau en moins d’une heure, mon téléphone portable à la main.

Je pose la tête contre le même miroir pour me baigner de sa fraîcheur et me redonner du courage.

Du courage pour assumer ma décision et aussi, car je mesure que je ne peux pas vraiment réaliser l’ordre demandé. Pas de soutien-gorge…. mais un body. Mon tiroir de lingerie regorge de ce type de pièces qui est l’une de mes préférées. Mes quelques soutiens-gorge reposent au fond de ma corbeille de linge et j’attendais le week-end pour les laver à la main.

De toute manière, désormais, je n’ai pas le choix, car le compte à rebours tourne.

Je pose le portable sur le lave-mains. Ma main attrape la fermeture éclair de ma robe, située entre mes omoplates. Je la descends doucement. Les bretelles tombent sur ma poitrine.

Délicatement, je les fais glisser le long de mes bras jusqu’à mes hanches. La robe s’écrase au sol. Mon body se révèle sous la lumière.

Composé d’une fine dentelle noire, il dessine des arabesques sur mon corps.

J’apprécie le jeu de transparence qu’il fait naître, notamment à ma poitrine, à mes tétons qui se dessinent en relief. Léger, caressant et très couvrant. Exceptionnellement, celui-ci n’a pas de string.

Je regarde de nouveau mon corps dans la glace. Mon apparence marquée par deux maternités et quelques kilos superflus, loin de cristalliser les fantasmes masculins, risque de décevoir mon maître-chanteur. Avec une chance, il considérera que je ne peux être un jouet sexuel pour lui et abandonnera ce chantage abject.

J’actionne le retardateur et me recule contre le mur pour le cliché souhaité.

Satisfaite, je ne tergiverse pas plus longtemps de peur que ma raison revienne frapper à la porte de ma conscience et je l’envoie.

Objet du mail : la menteuse en soutien-gorge.

Mon mail est parti instantanément.

Je m’octroie encore quelques secondes de tranquillité dans ces sanitaires, devenus désormais mon refuge, mais également un photomaton improvisé pour les envois à mon tortionnaire.

Des coups délicatement frappés à la porte me tirent de ma torpeur. Je sursaute, renfile ma robe d’un geste ample, et relace mes escarpins que j’avais ôtés pour être plus à l’aise.

Déverrouillant, je tombe nez à nez ou plutôt torse contre la poitrine avec mon manager, Pierre.

« Tout va bien, mademoiselle ? » Susurre-t-il à mon oreille alors que je le fuis.

Haussant les épaules, je lui tourne le dos pour aller chercher mon sac à main.

Ma journée a été particulièrement longue et oppressante.

Je me vois comme un funambule, marchant sur cette corde raide, oscillant entre mon mensonge et mon nouveau maître, car mon maître-chanteur est bel et bien devenu un maître pour moi. Il me tient ! La corde ou le collier au cou, je ne suis plus libre de mes mouvements et je dois lui obéir instantanément.

Néanmoins, même s’il a démasqué ma supercherie, il semble mal me connaître.

Pugnace, il m’en faut davantage pour me mettre à terre.

Je décide donc de respecter, dans la mesure du possible, ses demandes, mais aussi tenter de le démasquer.

Il me reste 27 collaborateurs à inspecter et mon manager.

Avec une chance inespérée, peut-être fait-il partie de l’un d’eux. Et ensuite ?

Une fois son visage révélé au grand jour, que vais-je décider ?

Honteusement, je m’avoue que ce message m’excite terriblement.

En-dehors du ton impérieux et des menaces qui m’exaspèrent, cet échange entre nous, qui n’en est qu’à l’aube, je suppose, me plaît fortement. Il met un peu de sel dans mon long fleuve tranquille, ennuyeux à souhait. Je dois garantir la pérennité de mon poste, mais j’ai aussi également envie de m’amuser, de le contenter et de me faire plaisir.

Je l’avoue, ce danger m’excite.

Je saisis mon sac à main pendu au porte-manteau derrière mon bureau et je m’élance vers la sortie après avoir adressé un message sympathique à toute mon équipe.

Ces 27 gaillards font partie de ma team. Je ne suis pas la reine de Sabah au milieu de son harem masculin. Bien au contraire… j’ai toujours préféré les équipes et les amitiés masculines, beaucoup plus saines et directes. Je connais chacun d’entre eux, leur personnalité, leur vie personnelle, leurs faiblesses et leurs atouts. J’essaie de les accompagner au quotidien pour qu’ils puissent tirer le meilleur d’eux-mêmes, parfois à sortir de leur zone de confort pour qu’ils mesurent leurs grandes compétences insoupçonnées. Je me considère un peu comme les petites roulettes d’un vélo, un support provisoire pour eux afin qu’un jour, chacun soit en capacité de prendre ma place.

Cependant, pour l’instant, l’un d’entre eux a bien décidé de me déboulonner. Je vois ceci comme une trahison, mais peut-être que ses menaces n’iront pas jusqu’au bout si je lui obéis, si je lui donne le change.

Deux possibilités s’offrent à moi :

je parviens à le démasquer et il va passer un mauvais quart d’heure où je continue à obéir à ses demandes coquines ? Et s’il va plus loin ? Beaucoup plus loin ?

Pour l’instant, l’heure n’est pas aux tergiversations, mon estomac crie famine !

Sous le coup de toutes ses émotions, je veux me faire plaisir par un repas patiemment concocté.

Je décide de faire un saut au supermarché à côté de mon entreprise.

Au menu de ce soir, une escalope milanaise avec un risotto et son tiramisu. Un de mes menus préférés… et la cuisine, un excellent dérivatif. Une nécessité après une telle journée.

La gastronomie possède une saveur particulière pour moi, car elle regroupe et comble tous les sens : d’abord la vue, l’odorat ensuite pour finir par le goût.

Quelle œuvre d’art permet tout cela ?

Mes déambulations parmi les rayons m’ouvrent encore de multiples possibilités de menus et plats pour la fin de ma semaine.

Comme à mon habitude, je me suis laissée guidée par mon estomac et mon caddy croule sous les victuailles.

Je rage bien évidemment en moi-même, car, tête de linotte ou parfaite, inconsciente, je fais le choix de n’apporter qu’un seul sac de courses à chaque fois.

Je vais devoir déployer des ressources de stratégie pour tout ranger.

La queue à la caisse n’avance pas ou trop doucement à mon goût, mais je me divertis à observer les clients qui déchargent sur le tapis roulant.

Je pourrai les répertorier en plusieurs catégories :

les organisés, avec les produits classés par variétés et déposés au cordeau ; les fantaisistes, tout un savant mélange d’épicerie, de surgelés, et produits frais ; les célibataires, juste le strict minimum pour revenir demain en sortie ; les pressés qui poussent les achats du précédent et se grandissent afin de saisir la barrette de séparation qu’ils déposent expressément sur le tapis… La liste serait longue et un plaisir grand de coller des étiquettes à tous ces individus, seulement en les regardant débarrasser leur caddy.

Devant ce spectacle passionnant, mon attention est détournée par les vibrations de mon sac à main, signe annonciateur d’un nouveau message…

à suivre…

Récit du Mystère de la Plume

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